Le Jour où Squash s’est invité aux Oscars…

Il était une fois un passionné de squash qui voulait faire un court métrage. A priori, pas de quoi en faire un article vous me direz. Et pourtant….

En 2002, Lionel Bailliu, qui travaillait dans le département fiction de M6 à l’époque, réalise que notre sport qu’il pratiquait régulièrement à l’époque pouvait être dramatisé afin de raconter une histoire. Si on lui avait dit à ce moment-là que son idée le conduirait aux Oscars 2004…

“En fait, je cherchais une idée de court-métrage et comme je jouais au squash à l’époque, il m’a semblé qu’il y avait quelque chose de très cinématographique à faire autour d’un match de squash” explique le réalisateur/scénariste. “C’était un moyen de filmer une action originale et de dramatiser un match avec ses enjeux et retournements de situation.”

Lionel pratiquait le tennis et le squash à l’époque, et il appréciait tout particulièrement la spécificité de notre sport. “C’est un sport de raquette citadin bien pratique étant en intérieur, très efficace, on est rincé en peu de temps”. Très apprécié par des gens pressés et très pris…

Bon, il avait l’idée. Il lui fallait un lieu.

“On a tourné sur un court qui n’existe plus” raconte Lionel. “Il faisait partie d’une copropriété du côté du métro Cambronne. Il n’y avait qu’un seul court qui, de surcroît, était surplombé par une sorte de balcon, pratique pour y loger l’équipe technique et le perchman (balcon d’où est filmé le seul plan en plongée, celui du générique début).

“On y a été très tranquilles. Filmer dans un club aurait été plus contraignant (à moins de privatiser tout le club, ou de tourner la nuit, on aurait été dérangé par le bruit des autres courts…). Une des particularités qui était visuellement intéressante était le fait que même le mur du fond était plein et non vitré comme souvent, accentuant la sensation d’enfermement.”

Enfermement. Pile poil. Quand on voit le film, on est frappé par l’atmosphère oppressante qui règne sur le court..

L’idée, le lieu, il lui fallait bien sûr les personnages. Deux comédiens de talent, sportifs pratiquant le squash. Pas évident sur le papier. Mais Lionel trouve les perles rares…

“Je jouais déjà au squash avec Malcolm Conrath [Good Cop note de Fram] et j’avais remarqué Eric Savin [Bad Cop] qui m’intéressait parce que, d’un côté, je trouvais qu’il pouvait faire peur, de l’autre, je trouvais qu’il avait un côté paternel qui faisait qu’on pouvait aussi souhaiter l’avoir comme mentor/coach.”

Enter Eric Savin.

“Je connaissais Lionel le réalisateur à l’époque, car il travaillait à M6, à la fiction, je le connaissais un peu comme ça, mais je connaissais surtout Malcolm.

Et un jour, on s’est croisé dans un café, Malcolm m’appelle et me dit « tiens je te présente Lionel, il est sur un projet. Est-ce que tu joues au Squash ? »

Et moi, à l’époque, j’étais vraiment un fan de squash, j’ai toujours été sportif, hockey sur glace quand j’étais jeune, puis rugby, mais à l’époque, passionné de squash.”

Lionel se souvient de cette rencontre, et le contacte rapidement.

“Je lui ai téléphoné, et il sortait d’un match de squash justement! Eric et Malcolm étaient tous les deux comédiens professionnels, joueurs de squash amateur (ce qui étaient deux pré-requis). Ils ont adoré le projet et en particulier le défi physique. C’est plus excitant à jouer que des scènes assis sur une chaise. Tout ce qui peut les plonger dans la situation les aide en fait.”

Eric se souvient de cette époque:

“Je jouais régulièrement, 2 à 3 fois par semaine depuis plus d’un an à ce moment-là, et j’étais vraiment dedans ! Je jouais chez Etcheverry à Grenelle, à l’époque de Sean Flynn.

“Quand je suis arrivé à Paris, j’ai été obligé de lâcher le sport à cause de ma carrière, mais je voulais vraiment faire du sport à haut niveau. Alors, quand Lionel a parlé de squash, j’étais partant, l’occasion était trop belle de de concilier le métier que j’avais choisi et ma passion pour le squash.”

Idée, lieu, personnages, check. Il fallait maintenant une histoire… Le harcèlement psychologique sur fond blanc de murs de squash… Génial. Monstrueusement génial. ‘Oppressament’ génial.

En tant que comédienne moi-même, j’ai été frappée par la qualité de la “chorégraphie” créee par Bailliu. J’ai tourné des scènes de jeu de squash quand je jouais dans un “soap” pour la BBC, et je sais à quel point c’est compliqué pour les comédiens, le caméraman, et le monteur!

“Le pari du film était (1) que les acteurs allaient être capables de reproduire et répéter des échanges de manière convaincante et cohérente et (2) qu’on allait être capable de monter différents angles de vue avec fluidité” précise le réal. “J’ai chorégraphie la vingtaine de balles qui constituent ce match (avec le souci de varier les coups et les situations).

“J’ai filmé les échanges, caméra mini DV dans la main, et je ne me souviens plus combien de balles j’ai pu prendre! Je crois que c’est la caméra qui en pris le plus” sourit-il.

“La semaine précédent le tournage, on a répété avec les comédiens, et effectivement, ils étaient capables, sur quatre, cinq échanges, de respecter leurs marques. Quelque part, avec le sport, ils ne pouvaient pas faire semblant. Mais c’était aussi très éprouvant, pendant les cinq jours qu’a duré le tournage, ils devaient se maintenir dans un même état d’essoufflement, faisaient des pompes entre les prises etc… (Pareillement, il y avait un gros enjeu de maquillage et de continuité pour qu’ils aient une transpiration à peu près cohérente de bout en bout).

“Quand a abordé le montage, on s’était dit qu’au pire, on éllipserait dans les balles, les évoquant plus que les montrant, mais assez rapidement, on s’est rendu compte que tout fonctionnait très bien, qu’on pouvait raccorder plan sur plan en étant raccord sur les positions des joueurs et de la balle. Donc, on a tout monté raccord.”

“L’ambition première était d’intéresser et de dramatiser un match de squash” rappelle le metteur en scène. “Il fallait que le spectateur soit partie prenante, comme quand on regarde un match de sport à la télévision. Je ne me suis pas inspiré d’un match réel, je l’ai façonné exprès pour afin que les moments du match se marient bien avec les moments de l’intrigue.”

Un grand coup de chapeau au monteur Vincent Tabaillon, qui a monté d’énormes films américains après, et qui ne jouait pas même pas au squash! Prenez l’exemple de “Invinctus” de Clint Eastwood, où le monteur n’a jamais réussi à nous faire vivre le match de rubgy… A méditer…

Et pour faire bonne mesure, une musique qui colle aux images comme la sueur au front des acteurs (bon, je sors). J’ai ADORE la bande sonore qui à mon avis est l’une des clés de la force du film.

“Le musicien, Denis Penot, était un collègue de travail et ami de M6 où je travaillais à l’époque à la fiction française” nous dit Bailliu. “Il avait déjà fait la musique de mon précédent court-métrage (une co-réalisation avec Pierre-Yves Mora, Squash est le premier court que j’ai écrit et réalisé seul).

“L’idée était assez simple: jouer une montée en puissance progressive avec les instruments et les rythmes qui s’additionnent comme on avance dans l’histoire. La musique est d’autant plus importante qu’on respecte les unités de temps, de lieu et d’action. Les départs et arrêts de musique permettent de découper et chapitrer le film qui sans ça ne serait qu’une longue continuité.

Résultat du cocktail “à la squash”? Un succès retentissant!

“Le succès a été immédiat” rappelle Lionel. “Le film a été sélectionné au festival du court métrage de Clermont Ferrand. Les gens m’arrêtaient dans la rue pour m’en parler ou me féliciter. On y a remporté le Prix du Public (au final on en a remporté 10) et un double prix d’interprétation pour Eric et Malcolm (au final ils en ont remporté 3).

“Malcom et moi on a eu de nombreux prix d’interprétations pour le film, dès qu’on faisait un festival, le film gagnait un prix !” sourit Eric Savin. “De mémoire, une quarantaine de prix, Clermont, on a eu un prix d’interprétation tous les deux, au Québec, j’en ai eu un aussi, bon, on n’a pas tout suivi, mais c’est un film qui a eu un succès incroyable, auquel on ne s’attendait pas.

“Grâce au soutien d’Unifrance, j’ai inscrit Squash dans tous les festivals où il pouvait être accueilli et on a fait le circuit pendant un an. On a gagné une trentaine de prix au final, une nomination aux Césars, et une aux Oscars” se souvient Lionel.

Même si le court n’a pas été récompensé, c’était une expérience extraordinnaire pour les deux comédiens et leur réalisateur. “Ce film a vraiment eu une énorme répercussion sur ma carrière, j’ai énormément travaillé grâce à ce court métrage” nous confie l’acteur qui travaille régulièrement aussi bien au théâtre qu’à la télévision. Et le metteur d’ajouter “c’était chouette de connaître une telle réussite avec Squash, d’être allé aux Oscars, d’avoir le plaisir de répondre à une interview plus de vingt ans après…”

Seule ombre au tableau. Ni Lionel, ni Eric ne jouent plus ni l’un ni l’autre au squash. Eric a laissé tomber quand Grenelle a changé de propriétaire, car son partenaire a lâché le squash. Et même s’il a joué de temps en temps avec Benoît Magimel à Montmatre (Benoît jouait le rôle d’Eric dans l’adaptation au grand écran “Fair Play”, aux côtés de Jérémie Rénier et de Marion Cotillard), et Lionel “ne joue plus depuis très longtemps”.

Alors, j’espère que tous les clubs de France et de Navarre vont se mobiliser pour récupérer ces deux âmes perdues et les remettre dans le droit chemin et sur un court de squash…

Les mot de la fin d’Eric Savin…

“Quand on commence à jouer, on court après la balle, mais après, quand on joue un peu mieux, c’est là que ça devient vraiment intéressant. On se rend compte à quel point c’est un sport de stratégie et d’intelligence de jeu…”

et de Lionel Bailliu…

“Les gens me demandaient pourquoi j’avais choisi le squash pour parler de harcèlement psychologique mais en vérité c’est l’inverse que j’ai fait:
Je me suis servi du thème du harcèlement psychologique pour intéresser les gens au match de squash…